Ces blouses blanches qui nous veulent du bien !

Par le petit bout de ma lorgnette -  La chronique de Jean-Yves Duval Dessin Philippe Morelle
Par le petit bout de ma lorgnette -  La chronique de Jean-Yves Duval - Dessin : Philippe Morelle

Ces blouses blanches qui nous veulent du bien !

Comme tous les français, j’ai, durant le Covid, applaudi tous les soirs à ma fenêtre les soignants qui se démenaient avec une abnégation admirable pour faire face l’épidémie de Covid 19. Ils ont sauvé des dizaines, voire des centaines de milliers de vies.

Puis le temps a passé et on a oublié leur courage, leur disponibilité, leurs conditions de vie, leur surcharge de travail, leur emploi du temps démentiel, le manque de personnel et de moyens matériels, le quotidien nous a rattrapé. Aujourd’hui je voudrais leur rendre hommage suite à une expérience personnelle vécue il y a quelques jours lors d’une hospitalisation en ambulatoire à l’hôpital du Mans.

Dès mon arrivée aux urgences ophtalmo j’ai été pris en charge avec la plus grande humanité et beaucoup de professionnalisme par le personnel administratif et soignant du bâtiment Claude Monet. Personne n’aime subir une intervention chirurgicale, qu’elle qu’elle soit, même la plus anodine. C’est la peur de l’inconnu, celle qui naît de l’ignorance de ce qui nous attend et pour laquelle on ne maitrise rien, qui que nous soyons. Nous devons nous en remettre entre des mains anonymes, fussent-elles expertes et l’humilité est de circonstances.

En rentrant, à la verticale, dans le bloc-opératoire j’ai eu l’impression de pénétrer dans le cockpit d’un Airbus A310, avec tout son environnement électronique et cet univers immaculé. J’en ressortirai 45 mn plus tard à … l’horizontale, sur une civière à roulettes. Autour de moi il y avait là, déjà à l’œuvre, plusieurs stewards et chefs de cabine (infirmière anesthésiste, infirmière chirurgie, assistant du chirurgien, aide-soignante) qui n’attendaient plus que le commandant de bord (chirurgien) et procédaient à l’inévitable check-list précédant le décollage : oxygène « ouvert ! » instruments nécessaires à l’intervention, « prêts ! » etc.

Allongé et sanglé sur la table d’opération comme une poupée de chiffons, une légère musique d’ambiance, du genre de celle diffusée dans les aéronefs pour rassurer les passagers angoissés, je n’étais plus maître de quoi que ce soit, en particulier de mes mouvements, je ne tenais plus le volant et je devais m’en remettre à un autre conducteur que moi. Le tensiomètre fixé à mon bras renseignait l’anesthésiste immédiatement et plus sûrement de mon état de stress que n’importe quelle anxiété dans le regard : 18-6; 17-5; 15-7 … Là, où l’avion de ligne grimpe en altitude moi je descendais en pression et c’était plutôt mieux ainsi. En salle de réveil je descendrai à 13 et même à 10-7 , coup de pompe du au fait que j’étais à jeun depuis la veille. Vivement une barre chocolatée. En attendant ce moment salvateur et dans un élan de générosité l’anesthésiste m’administra une légère drogue de confort dans la perfusion et je me sentis flotter dans l’air, l’esprit déjà dans les nuages alors que l’appareil n’avait pas encore quitté le tarmac. Pour info, aucune mignonnette de vodka ou de whisky n’est servie à bord, s’alcooliser et fumer étant dangereux pour la santé. Tout au plus un peu d’opium dans les veines en guise d’euphorisant, voire de curare pour les plus récalcitrants.

Autour de moi l’équipage en blouses bleues, aux couleurs d’Air-France, vaquait sereinement à ses occupations (fermeture des coffres à bagages, distribution des casques audio et des couvertures, fermeture des portes de cabine etc.), je les entendais parler, blaguer comme le font les personnels de bord, tels des vieux routiers qui comptent des centaines d’heures de vol. Cela me rassurait : s’ils n’étaient pas inquiets, je n’avais pas à l’être. Mon œil, oui ! Justement c’est pour lui que j’étais là, et j’y tenais comme à la prunelle de mes yeux. Pour un journaliste-écrivain il est en effet indispensable de bien voir pour noircir la page blanche. Mon œil, à défaut de ma vie, était donc entre leurs mains., certes inconnues, mais, j’en étais sûr, bienveillantes.

A un moment, on annonça l’arrivée dans le bloc du commandant de bord, qui salua son second, et le reste de l’équipage. Pendant les préparatifs il indiqua que la nuit avait été difficile en raison du petit de trois mois qui faisait ses premières dents. Cela devait-Il m’inquiéter ? Non, car il me parla gentiment comme un adulte bienveillant, me rassura, « tout va bien se passer ! ». S’il le disait, je n’avais aucune raison de douter, il était le sachant et moi l’ignorant.

Tout au long de l’intervention, durant une quarantaine de minutes je l’entendis transmettre ses observations, donner des conseils, faire ses recommandations à son assistant, un interne sans doute, mais je ne pouvais les voir, car ma vue, si l’on peut dire, était obscurcie par le champ opératoire qui me recouvrait le visage, tel un linceul. Régulièrement le patron de la salle d’ops me donnait des infos sur le plan de vol : nous survolons actuellement … sur votre droite.., je n’entendis pas, et tant mieux, l’injonction redoutée « veuillez attacher votre ceinture, nous allons traverser une période de turbulences.. » puis, il m’informa toujours aussi compatissant « C’est bientôt fini, c’est la dernière étape », en clair nous allions atterrir à l’heure prévue, sans « casser du bois ». Je crus l’entendre dire « à l’extérieur il fait une température de x degrés, bienvenue à … » Fin d’un voyage qui m’avait permis de découvrir des images psychédéliques, des points bleus et une lumière blanche aveuglante. Durant le vol, au lieu du rugissement des réacteurs j’avais entendu le sifflement du laser qui s’activait au-dessus de ma tête et le glissement furtif du microscope. Puis le commandant me soulagea de mon angoisse « Tout s’est bien passé ! », on me délivra alors du champ opératoire, je retrouvais l’air libre et je pus voir le visage de mes anges gardiens souriants. Je me suis retenu d’applaudir l’équipage pour cet atterrissage réussi.

Plus sérieusement j’adresse un grand, grand merci à l’équipage ophtalmo de Claude Monet, personnel navigant, comme personnel au sol, pour ce vol inaugural court-courrier qui m’aura permis d’expérimenter une belle aventure humaine en compagnie de soignants, femmes et hommes de grande qualité, professionnels jusqu’au bout des ongles et résiliants envers leur patient.

Ces femmes et ces hommes en blanc ont droit à toute mon admiration ainsi que la vôtre car, ne l’oublions jamais, nous leur devons un peu de nous-mêmes, quel que soit le motif d’hospitalisation, du plus modeste au plus grave, et c’est une énorme dette de reconnaissance que nous avons envers eux.

Je ne leur dis pas « à bientôt sur vos lignes », mais si cela devait se produire je serais sans doute un peu moins stressé car je connais un peux mieux désormais les coulisses de l’exploit.

 

 

 

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