Corrida : « Est-ce que ce monde est sérieux ? »

Par le petit bout de ma lorgnette -  La chronique de Jean-Yves Duval Dessin Philippe Morelle
Par le petit bout de ma lorgnette -  La chronique de Jean-Yves Duval - Dessin : Philippe Morelle

Corrida : « Est-ce que ce monde est sérieux ? »

A l’heure du réchauffement de la planète, de la guerre en Ukraine et de
la flambée des prix dans le monde, une question existentielle s’est
invitée sur la scène publique. A l’origine de ce tohu-bohu médiatique une
question : Faut-il, ou non, interdire la corrida ? Son auteur, le député de
LFI, Aymeric Caron, hier encore chroniqueur télé. Avec son air d’apôtre
arrogant et de faux tribun révolutionnaire il a décidé de planter son
couteau dans la plaie d’une institution séculaire dans certaines régions
de France, et mercredi dernier il revenait à l’Assemblée nationale d’en
débattre.
La corrida a toujours eu ses défenseurs, souvent ardents, et ses
opposants, souvent acharnés. Picasso et Hemingway notamment ont été
ses ambassadeurs et à côté d’eux le député insoumis fait une bien pâle
figure d’accusateur public. Pour ma part, je plaide coupable, j’ai en
horreur la corrida que certains vont jusqu’à comparer à de l’art, tandis
que d’autres le qualifie de résurgence Moyenâgeuse. Ce spectacle du
taureau, élevé tout jeune dans des manades pour devenir un animal de
combat, promis à une mort certaine dans le lieu clos d’une arène après
avoir vécu en liberté dans les prairies camarguaises, épuisé par la
muleta en serge rouge, torturé sous les coups de banderilles, sorte de
harpons, du torero, et harcelé par la lance du picador, avant de recevoir,
les flancs couverts de sang, l’estocade finale de l’épée du matador, me
révulse et me révolte.

Quel plaisir peut-on prendre à éprouver la bravoure du taureau en
l’éreintant à coups de pique, sinon la volonté de réduire sa force et de
l’amener un peu plus tard à baisser sa tête, telle une offrande, à l’heure
du sacrifice ? Un scientifique (sic) a été jusqu’à prétendre que non
seulement le taureau ne souffrait pas mais qu’il ressentait une
« sensation de bien-être ». Dixit ce docteur es-connerie !

Quel plaisir sadique peut-on prendre à voir agoniser un animal, avant de
le mettre à mort ? Ce geste à profondément divisé les afficionados eux-
mêmes comme en témoigne le célèbre tableau de Francisco Goya.
Quel plaisir enfin y a-t-il à mutiler le taureau mort en lui coupant une
oreille en guise de trophée ? Comment ne pas voir, à travers ce rituel
désuet, tauromachie rimer avec barbarie ?
Et que fait-t-on de la déclaration universelle des droits de l’animal
adoptée en 1978 ? De l’article 515-14 du code civil (2015) qui stipule que
« l’animal est un être vivant doué de sensibilité » alors que jusque-là il
était juridiquement considéré comme « un bien meuble » ? Et du premier
« code de l’animal » apparu en 2018 ? Aujourd’hui pour ces motifs les
tribunaux correctionnels condamnent les individus qui martyrisent les
animaux, le taureau ne serait-il pas un animal ? Son agonie dans l’arène
n’est-elle pas un martyr ?

J’invite les lecteurs à lire ou relire le magnifique roman de l’auteur de
« 1984 », l’écrivain anglais George Orwell « La ferme des animaux »,
fiction qui décrit la révolte des animaux et dans laquelle il écrit : « Tout
ce qui est sur deux jambes est un ennemi, tout ce qui est sur quatre
jambes ou possède des ailes et un ami ». Cela me rappelle aussi cette
phrase du regretté Pierre Desproges « Plus je connais les hommes, plus
j’aime mon chien ». Malheureusement Hitler aussi adorait sa chienne
Wolf.
En France, la mise à mort du taureau a été abolie depuis plus de
soixante-dix ans et ne subsiste que dans de rares villes du midi où elle
constitue une tradition historique. La féria de Nîmes attire ainsi à la
Pentecôte près d’un million de visiteurs durant six jours. Au-delà de la
« beauté du geste » la corrida est donc surtout pour les organisateurs et
le tourisme régional une affaire financière juteuse. Le prix du sang.
Et Aymeric Caron, en s’emparant de ce sujet pour un improbable texte
de loi, ne fait que surfer démagogiquement sur une indignation et une
réprobation, qui, à défaut d’être nationale, est quasi générale. Un coup
de pub fidèle à ce personnage amoureux de sa personne et grand
donneur de leçon devant l’éternel.
En ce qui me concerne, à la corrida je préfère la course camarguaise, où
le but consiste à attraper la cocarde placée sur les cornes du taureau ce
qui n’est pas sans risques mais constitue une attraction pittoresque,
sportive et sans cruauté. Elles ne sont pas sans rappeler l’émission télé

« Intervilles » avec Guy Lux, Léon Zitrone et Simone Garnier et je fais
miennes les paroles de la chanson de Francis Cabrel (1994) qui au
lendemain d’une mise à mort d’un taureau à Bayonne a écrit : « Je les
entends rire comme je râle et je les vois danser comme je succombe. Je
ne pensais pas qu’on puisse s’amuser autant autour d’une tombe, est-ce
que ce monde est sérieux ». Il a tout dit, merci, monsieur Cabrel, votre
texte vaut mille fois mieux que toutes les propositions législatives d’un
Aymeric Caron.

 

 

 

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